Politique: Comment Emmanuel Macron va tenter de déminer le dossier corse
BRAS
DE FER Le président se sait attendu en Corse où les autonomistes et
indépendantistes attendent qu'il précise ses intentions sur le statut de l'île
de Beauté...
On attend beaucoup de la visite
d’Emmanuel Macron ». Le député nationaliste corse Jean-Félix
Acquaviva insiste bien sur l’adverbe. Le président de la République se rendra
mardi en Corse, pour la première fois depuis son élection. Pendant la campagne
présidentielle, certains propos du candidat d’En marche avaient pu flatter
les nationalistes corses, élus à la tête de l’exécutif en décembre. Des espoirs
douchés par le gouvernement qui s’engage dans un bras de fer
politique délicat mais inévitable.
De l’espoir à la déception
Définir la position d’Emmanuel Macron
sur le dossier corse n’est pas chose aisée. Contacté par 20 Minutes, l’Elysée
renvoie au discours
prononcé par le candidat à Furiani,
le 7 avril 2017. Il s’était alors livré à un bel exercice
d’« en-même-temps-isme » - « Parce que la République, elle est
indivisible et en même temps plurielle, n’en déplaise à certains » - mais
il avait aussi prononcé cette tirade que les nationalistes corses ne sont pas
près d’oublier :
« (…) Président de la République,
je réunirai tous les acteurs concernés pour bâtir un diagnostic sur la
situation et les besoins de la Corse. Tous les problèmes seront abordés, il n’y
aura pas de tabou. (…) Et
s’il apparaît que le cadre actuel ne permet pas à la Corse de développer ses
potentialités, alors nous pourrons envisager d’aller plus loin et de réviser la
Constitution. »
Dix mois après ce discours aux accents
girondins et décentralisateurs, les nationalistes corses qui ont remporté les élections
territoriales en
décembre dernier attendent désormais du concret de la part du chef de l’État,
qui leur a envoyé des signaux contrastés depuis son élection. Ceux-ci
réclament une plus grande autonomie, notamment la co-officialité de la langue
corse et l'aministie des «prisonniers politiques».
« Il y a l’attitude de
l’exécutif lors de la crise catalane, qui a pleinement soutenu Madrid », explique
Jérôme Fourquet, directeur de l’Ifop et auteur de La nouvelle question corse*. Les
nationalistes gardent aussi en travers de la gorge les tractations entre LREM
et les deux listes de droite en vue de faire barrage à la coalition Pè a
Corsica, « pilotées par l’exécutif », juge Jean-Félix Acquaviva.
Manifestation « pour la
démocratie et le respect du peuple corse »
La venue du tandem exécutif corse
Jean-Guy Talamoni-Gilles Simeoni à Paris en janvier n’a pas
permis de réchauffer les discussions entre l’exécutif et les
nationalistes qui ont lancé depuis la
capitale un appel à manifester samedi,
à 72 heures de l’arrivée du président de la République. Sur l’île où le
macronisme n’a pas pris, ils misent sur une forte mobilisation pour peser
sur la future révision constitutionnelle qui serait l’occasion de modifier le
statut de la Corse.
Après nos entretiens d’hier et d’aujourd’hui, notre conviction
est faite : l’Etat refuse de reconnaître et de prendre en compte la dimension
politique de la question corse. Dans ces conditions, nous appelons dans les
prochains jours à la tenue d’une grande manifestation populaire
Dans ce contexte tendu, et après avoir
envoyé Jacqueline Gourault, la « Madame Corse » du gouvernement -
sans que les discussions n’avancent -, Emmanuel Macron a soigné son premier
déplacement sur l’île de Beauté. Il a choisi d’y passer deux jours et une nuit,
accompagné de trois membres du gouvernement : Gérard Collomb,
Jacqueline Gourault et Marlène Schiappa, originaire de l’île. La date de sa
venue s’est en partie imposée à lui puisqu’il s’agit du vingtième anniversaire
de l’assassinat du préfet Erignac. Mais elle permet surtout au président de
participer à une « séquence mémorielle » (dixit l’Elysée) doublement
symbolique. Cette cérémonie d’hommage offre ainsi une tribune à « Macron
le régalien, qui souhaite incarner l’ordre républicain et l’autorité de
l’État », juge Jérôme Fourquet.
Une « séquence
mémorielle » mais pas de « temps politique » ?
En outre, la commémoration du meurtre
se fera sans une partie des nationalistes corses. Jean-Guy Talamoni n’y assistera pas. « Je ne serai
pas présent, je crois que c’est plus respectueux de la mémoire du préfet
Erignac et de la douleur de ses proches. Compte tenu de mon parcours, ma
présence à cette cérémonie n’est pas souhaitable ni même souhaitée par les
organisateurs, mais ma compassion est pleine et entière », explique
à 20 Minutes le
président de l’Assemblée corse qui a condamné en 1998 l’assassinat du préfet
mais pas les auteurs et qui continue de réclamer l'amnistie
pour ceux qu'ils considèrent comme des «prisonniers politiques» et pour Yvan Colonna.
« On souhaite qu’on évite
d’instrumentaliser le temps mémoriel », prévient le député Jean-Félix
Acquaviva qui espère que le « temps politique » de cette visite
permettra « d’ouvrir un dialogue sans tabou ». Ce « temps
politique » aura-t-il vraiment lieu ? Un « déjeuner
républicain » est prévu mercredi à la préfecture de Haute-Corse à Bastia
et, à cinq jours du déplacement, la présence de l’exécutif corse était encore
« en cours de calage » selon l’Elysée. « A ce stade, rien n’est
fixé », assure jeudi Jean-Guy Talamoni.
Macron aura du mal à temporiser
Le reste du séjour d’Emmanuel Macron
sera consacré à la visite de la citadelle de Bonifacio, dont le maire
Jean-Charles Orsucci est la tête d’affiche de la macronie corse, et à un
déplacement à San Giuliano, sur un site de recherche sur la biodiversité de la
région. Pour la présidence, il s’agit de mettre l’accent sur cette
« filière d’innovation et le développement économique de la Corse ».
Un programme qui met en valeur le tourisme et l’agriculture qui font vivre
l’île.
Le chef de l’État ne pourra pas se
contenter de flatter les atouts de la Corse. « Il était dans une forme
d’ambiguïté jusqu’à présent mais il va devoir trancher, d’autant plus que le
référendum calédonien approche : il va devoir mettre des
curseurs », estime le politologue. « Pour le moment, Paris veut
cantonner le dossier corse à une dimension technique et administrative et poser
comme préalable le bon fonctionnement de la collectivité territoriale unique,
mais ça ne suffira pas aux nationalistes corses qui ont joué la carte
démocratique. Leur frange la plus radicale s’impatiente », estime Jérôme
Fourquet.
Les premiers pas de l’exécutif sur le
dossier corse ont laissé aux nationalistes l’impression qu’il « navigue à
vue » et qu’il n’a pas « pris en compte le vote d’émancipation de décembre,
qui reflète l’espoir de toute une jeunesse », déplore Jean-Félix
Acquaviva. Emmanuel Macron, qui tient régulièrement à s’adresser aux jeunes,
devra déployer bien des efforts pour ne pas les décevoir et pour rétablir
le dialogue entre Paris et la Corse.
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