Afrique: Au Maroc, lourdes peines pour les manifestants du Rif
Au terme de huit mois de procès, les manifestants de 2016-2017 dans le nord du pays ont été condamnés à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison.
Vingt ans de prison. C’est la peine à laquelle ont été condamnés quatre des jeunes Rifains considérés comme les meneurs du Hirak (« mouvance »), ce mouvement de contestation sociale qui avait agité le nord du Maroc en 2016-2017. Le verdict, rendu dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 juin par la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca, est d’une grande sévérité pour une partie des cinquante-trois accusés, dont Nasser Zefzafi, 40 ans, devenu la figure emblématique de ce mouvement.
Accusés
de « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat », les quatre
hommes encouraient jusqu’à la peine de mort. Trois autres accusés ont été
condamnés à quinze ans de réclusion, sept d’entre eux à dix ans et dix à cinq
ans. Le reste des peines varie entre deux et trois ans de prison. La cour ne
s’est pas encore prononcée sur le cas du journaliste Hamid El-Mahdaoui qui
encourt jusqu’à cinq ans de prison pour « non-révélation d’attentat contre la
sûreté de l’Etat » – le verdict devrait être connu le 28 juin.
Selon
un journaliste de l’Agence France-presse (AFP) présent dans la salle
d’audience, des proches des accusés, sous le choc à l’énoncé du verdict, ont
poussé des cris de détresse. « Ce sont des peines très lourdes. L’Etat a échoué
dans ce test de respect des droits humains et des libertés essentielles, tout
comme l’indépendance de la justice », a déclaré l’un des avocats de la défense,
Souad Brahma, citée par l’AFP. « Les peines sont très légères par rapport à ce
que prévoit la loi et à la façon dont ils se sont comportés devant le juge », a
commenté pour sa part Mohamed Karout, l’un des avocats des parties civiles qui
représentait l’Etat et ses agents.
Tous
les accusés ont été emprisonnés et poursuivis pour leur participation au
mouvement du Hirak, qui avait débuté après le 28 octobre 2016 dans la région du
Rif. Ce jour-là, un jeune vendeur de poisson, Mohcine Fikri, de la ville
côtière d’Al-Hoceima, avait été tué dans des conditions terribles : broyé par
une benne à ordures au moment où il tentait d’empêcher la police de détruire sa
marchandise, pêchée illégalement et tout juste saisie par des agents locaux.
Dans cette région enclavée, rongée par le chômage, les circonstances de ce décès
avaient déclenché un vaste mouvement populaire exigeant la justice mais aussi
des projets de développement, du travail, la fin de l’arbitraire.
Des tentatives de manifestations
réprimées
Pendant
près d’un an, les manifestations s’étaient succédé, mêlant des habitants de
tous horizons, jeunes, hommes, femmes et enfants, confrontés aux mêmes
difficultés de vie, jusqu’à ce que, au printemps 2017, les autorités décident
de mettre un terme au mouvement, arrêtant des centaines de personnes, faisant
taire la contestation en déployant des milliers de policiers et militaires dans
la zone. Le Monde, qui s’était rendu pour la troisième fois à Al-Hoceima en
août 2017, avait découvert une ville vivant sous une chape de plomb.
Si
une partie des jeunes interpellés à cette époque ont été jugés à Al-Hoceima,
ceux que les autorités considéraient comme les meneurs, ont été transférés à
Casablanca et poursuivis pour de lourdes charges. Ces dernières semaines, une
grande partie des accusés avaient décidé de boycotter le procès, dénonçant une
justice inique.
A
l’annonce du verdict, dans la nuit de mardi à mercredi, plusieurs tentatives de
manifestations ont été réprimées par la police à Al-Hoceima et à Imzouren,
selon des sources locales. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ne cachaient pas
leur colère ou leur amertume face à un verdict d’une telle sévérité, et au
moment où le pays est confronté à des revendications sociales grandissantes.
«
360 ans de prison [les peines cumulées] au Maroc pour des jeunes qui ont
demandé un hôpital et une université », résumait un tweet. « Quel ascenseur
émotionnel en un jour : hier la fierté et la joie collective d’être marocains
[en référence à la Coupe du monde], et ce soir le dégoût, l’inquiétude pour le
pays et la résignation, après les jugements sévères des détenus du Rif. Cette
nuit sera tristement mémorable », commentait le journaliste politique Abdellah
Tourabi.
Le
président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), Ahmed
El-Haij, a pour sa part dénoncé un verdict sous influence de « l’exécutif » : «
Au Maroc, nous n’avons pas de magistrature indépendante qui applique la loi et
strictement la loi. Ces militants ont été arrêtés alors qu’ils menaient des
protestations purement pacifiques pour demander à l’Etat une plus grande
justice économique et sociale. Or ils ont été jugés pour des actes aberrants
qui ne correspondent pas à la réalité, sous prétexte qu’ils auraient menacé
l’intégralité territoriale du royaume. Ce verdict vise à donner une leçon à
tout le peuple. Nous sommes revenus aux années de plomb. »
Par Charlotte Bozonnet (avec Ghalia Kadiri)
lemonde.fr
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