Afrique: En Libye, le maréchal Haftar à la reconquête du Croissant pétrolier
Les affrontements entre l’Armée nationale libyenne et des milices pourraient hypothéquer le règlement politique de la crise.
C’est comme un scénario qui
se réédite. Depuis le 14 juin, le Croissant pétrolier, poumon économique de la
Libye, est à nouveau le théâtre d’affrontements qui risquent d’hypothéquer la
reprise des exportations du brut tout autant que le règlement politique de la
crise libyenne. Les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL), du maréchal
Khalifa Haftar, ont affirmé, jeudi 21 juin, avoir repris le contrôle d’Al-Sedra
et Ras Lanouf, deux des principaux ports situés le long de l’arc de terminaux
en bordure du golfe de Syrte. Zone stratégique, cette région voit transiter
plus de la moitié de brut libyen exporté.
L’offensive de l’ANL,
baptisée « Invasion sainte », visait à déloger les forces d’Ibrahim Jadhran,
qui s’étaient emparées le 14 juin d’Al-Sedra et Ras Lanouf après une opération
éclair. Issu de la tribu locale des Magharaba, Ibrahim Jadhran est l’ancien
chef de la Garde des installations pétrolières, une force supposée être
officielle mais devenue de facto une milice privée au service d’un homme.
Trois réservoirs détruits
Jadhran avait été l’allié de
Haftar lors de l’éclatement de la guerre civile, en 2014, ayant opposé ce
dernier au bloc politico-militaire Fajr Libya (« Aube de la Libye »), à
tendance islamiste. Illustration de la volatilité des alliances dans le chaos
libyen, les deux hommes s’étaient par la suite brouillés.
En septembre 2016, Haftar
avait bouté Jadhran hors du Croissant pétrolier et rouvert les terminaux
bloqués, permettant la reprise des exportations de pétrole. L’épisode avait
consacré la réhabilitation diplomatique de Haftar auprès des chancelleries
occidentales, qui l’avaient jusque-là snobé en raison de la sulfureuse
réputation de général d’opérette qui l’entourait.
Malgré les communiqués de
victoire diffusés par l’ANL, les combats ne semblent pas totalement terminés
autour du Croissant pétrolier. Des escarmouches pourraient se poursuivre ces
prochains jours. Toutefois l’ANL, qui bénéficie d’une précieuse supériorité
aérienne – grâce au soutien dispensé par les Emirats arabes unis et l’Egypte –,
devrait finir à moyen terme par rétablir son emprise sur la zone. A défaut, la
facture économique, déjà élevée, pourrait s’alourdir et peser sur les ressources
financières du pays.
Trois réservoirs ont été
détruits en une semaine. La National Oil Company (NOC), l’entreprise publique
libyenne qui gère les ressources d’hydrocarbures, a déploré des « pertes
catastrophiques ». Les combats, selon Mustafa Sanalla, le directeur de la NOC,
pourraient coûter au pays plus de 450 000 barils d’exportation par jour sur un
total actuel supérieur au million.
Cette nouvelle flambée de
violence autour du Croissant pétrolier jette une ombre sur le scénario de
sortie crise établi lors d’une réunion au sommet, fin mai à Paris, où les
protagonistes de la crise libyenne – dont le maréchal Haftar – s’étaient
accordés sur la perspective d’organiser avant le 10 décembre un double scrutin
présidentiel et législatif.
Haftar polarise la scène politique
Les derniers combats
s’ajoutent à l’offensive menée par l’ANL à Derna, une ville de Cyrénaïque (est)
tenue par une alliance politico-militaire islamiste autour de laquelle
gravitent des groupes proches d’Al-Qaïda.
Après avoir conquis
l’essentiel de Benghazi en 2017, le maréchal Haftar, qui a réussi à susciter
des soutiens extérieurs – dont celui de la France – au nom de sa lutte «
antiterroriste », est résolu à s’emparer de Derna afin de consolider sa stature
d’homme d’Etat ayant unifié le pays. Ce faisant, il polarise toutefois
davantage la scène politique libyenne, attisant l’hostilité de ses adversaires,
qui dénoncent la brutalité de ses méthodes et son approche exclusivement
militariste.
C’est à Misrata, métropole
portuaire de la Tripolitaine (ouest), que l’opposition à Haftar est la plus
déterminée. De ce point de vue, il n’est pas anodin que l’ANL ait mis en cause
la Brigade de défense de Benghazi (BDB), au côté de Jadhran, dans les récents
combats du Croissant pétrolier. La BDB, formée de « révolutionnaires » et
d’islamistes chassés de Benghazi par Haftar, a été hébergée à Misrata. Des
connexions familiales existent entre ces groupes anti-Haftar expulsés de
Benghazi et Misrata.
Tant que cette fracture
entre Misrata et les forces du maréchal n’est pas résorbée, les scénarios de
sortie de crise demeureront fragiles. Et dans ce face-à-face, le gouvernement
d’« accord national » de Fayez Al-Sarraj, établi à Tripoli, n’est guère d’un
grand secours, limité par la faiblesse de son ancrage territorial.
Par Frédéric Bobin (Tunis,
correspondant)
Source : lemonde.fr
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